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Gueules d'européens : Nina, la pacifiste

Ils sont français, ils sont allemands, ils ont entre 18 et 25 ans, ils sont européens.

Elle est discrète. Presque timide. Et inquiète du monde qui l’entoure. Née à Stuttgart d’un père avocat et d’une mère professeure de politique, d’histoire et de langue allemande, Nina a connu une enfance heureuse et grandi sans histoire auprès de ses deux sœurs. Elle est si modeste que même sa scolarité dans la petite école franco-allemande de Stuttgart ne lui semble en rien remarquable : “mon père y était allé, nous y sommes allés.”

Sauf qu’elle y puise les racines d’un pacifisme profond qui sont pour beaucoup dans ses choix d’aujourd’hui. Son père s’est engagé tôt en politique chez les Verts allemands et il a souvent partagé avec elle ses rêves et ses luttes pour le droit des étrangers, notamment son combat médiatisé au profit d’une jeune Afghane condamnée à la lapidation pour rapport sexuels hors mariage et que la justice allemande voulait ren- voyer chez elle. ”Mais ce n’est pas là que je puise mes convictions pacifistes”, explique-t-elle. Pas plus que dans l’exemple de sa mère, elle aussi militante des Verts. Non, “je les tiens de mes études, et de ma formation franco-allemande.” Comme beaucoup de ceux qui ont grandi et suivi des études franco-allemandes, “j’ai été éveillée à la question de la réconciliation et de la paix par mes études. À sa valeur. Au travail permanent que cela représente. C’est à cette éducation bien spécifique que je dois mes choix d’aujourd’hui et c’est par elle que j’aborde aujourd’hui la question européenne.” D’abord bien sûr grâce à cette école franco-allemande où elle suit toute sa scolarité, puis via ses nombreux séjours en France. Elle s’est rendue la première fois dans l’hexagone en 2011 pour un semestre à Sciences-Po Bordeaux. “Là je suis très vite tombée amoureuse de la France. J’ai décidé de prolonger mon séjour à Strasbourg pour faire un stage de trois mois chez Arte”. Deux expériences qui la convainquent “de garder la France dans sa vie”. Et d’orienter ses études de sciences politiques sur la comparaison franco-allemande qui la mène pour un stage d’une année à Paris dans le cadre de son master.

Du franco-allemand à l’Europe

Par sa maîtrise de la langue française et ses périodes d’immersion, elle a conscience d’avoir “une chance inouïe de connaître à fond un autre pays, et d’en faire un sujet d’études à part entière alors que biographiquement rien ne me portait dans cette direction : mes parents connaissaient mal la France”. Comprenant la force du bilatéral ainsi que son intérêt, elle a naturellement décidé de l’élargir à l’ensemble des pays européens en poursuivant un master sur les politiques de l’UE : “L’UE représente pour moi le rapprochement de diverses cultures : France, Allemagne, Pologne, Italie, etc. Nous, les Européens, avons été élevés dans l’au-delà des frontières et nous avons la chance aujourd’hui de vivre de manière pacifique et sereine.”

Point de fausse naïveté chez Nina. Comme de nombreux jeunes autour d’elle, elle considère l’Europe comme un monstre bureaucratique, se consacrant beaucoup plus aux réglementations qu’aux citoyens. “Les concombres doivent être courbés de telle manière, dans les restos on ne peut pas laisser les bouteilles d’huile d’olive ouvertes…”. Ces exemples “ridicules” ne donnent pas “envie d’Europe”. Mais cela n’entrave en rien son militantisme pro-européen. “C’est grâce à l’UE que nous sommes en paix et nous devons œuvrer à coordonner nos politiques étrangères. Seules celles-ci sont à mêmes de consolider le poids qui est le nôtre, d’imposer le sens de nos choix, de nos valeurs et de notre responsabilité. Avec des spécialités pour chaque pays. La France est historiquement plutôt tournée vers le Maghreb et l’Afrique ; l’Allemagne se rapproche de l’Europe de l’Est et de la Russie.” Et pour Nina, un grand pas pour démontrer l’unité de l’Europe mais aussi l’engagement de la France dans la cohésion des politiques étrangères des pays de l’UE, serait qu’elle abandonne son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU au profit de l’UE. Pacifiste, idéaliste mais pas candide: “Nous n’en sommes pas là : les intérêts des États membres sont encore trop puissants et j’ai l’impression que l’UE a elle-même bien trop peur de parler d’une seule voix”. La confusion qui règne en Ukraine en est une preuve : “L’UE aurait dû intervenir dès le départ avec force. Mais maintenant, c’est la Russie qui a les clefs et qui contrôle ce conflit. Nous aurions pu éviter d’en arriver là. Que cela nous serve de leçon. Nous devons savoir peser vite et ensemble”.

Du nécessaire équilibre franco-allemand

Quoiqu’il en soit pour Nina, “pur produit” franco-allemand, les enjeux sont essentiellement européens, surtout en ces temps troublés. “On parle toujours d’un tandem franco- allemand, du moteur de l’UE. Mais je pense que la relation s’est fortement et durablement dégradée. Merkel et Hollande ne viennent pas du même camp ; la France est économiquement très affectée par la crise et l’Allemagne caracole en tête. Le déséquilibre qui en résulte nuit à cette relation et peut inspirer à l’Allemagne des tentations hégémoniques. L’UE a besoin d’une France forte pour garder l’équilibre des pouvoirs. Et quel autre pays que la France est assez puissant pour créer ce moteur avec l’Allemagne ? La Grande Bretagne, qui frôle la scission avec l’Ecosse ? Ou l’Italie, qui pourrait bientôt avoir recours au fonds de sauvetage de l’UE ?” Un déséquilibre qu’elle juge dangereux : “ Personne ne souhaite un leadership de l’Allemagne. Les Allemands pas plus que les autres Européens. Cela se voit dans les résultats des élections législatives mais aussi régionales. Il y a une grande majorité de personnes qui votent pour le parti de la chancelière Angela Merkel. Et c’est une politique résolument européenne et non nationale. De son côté, la France devrait mettre en place de véritables réformes économiques et se sortir elle-même de la crise. Je ne veux même pas penser aux conséquences qu’entraînerait un effondrement de la France”.

Pour Nina, l’idée européenne va mal. L’abstention des jeunes aux élections européennes en témoigne. Pourtant, “je pense que ma génération est encore engagée politiquement. Mais les manifestations des années 60 et 70 ont été remplacées par une protestation sur Internet. Et il est vrai qu’une certaine réticence à la politique traditionnelle est là. Un vrai danger : “J’ai été élevée dans la croyance qu’il n’y aura plus de guerre en Europe, parce que nous sommes une vraie communauté. Mais que se passera-t-il si l’Angleterre décide par référendum de quitter l’UE ? Ou si Marine Le Pen gagnait les élections ? Un retour à la pensée et à l’action nationalistes est plus proche et réaliste qu’on ne le pense. C’est pour cela que je trouve important d’aller voter”. Et la pacifiste se fait soudain militante et en appelle à une urgence de l’action : “À tous ceux qui ne vont pas voter, j’ai envie de dire : comment voulez-vous qu’on change quelque chose, si nous n’agissons pas de manière active ? Mobilisons-nous vite pour sauver l’UE qui représente à mes yeux la paix, la cohésion et la force. La paix, parce que nous ne voulons plus de la guerre en Europe, la cohésion, parce que nous avons une histoire et des valeurs communes, et la force, parce qu’une Europe unie est beaucoup plus puissante qu’un État national.”

TEXTE : OLIVIER BRETON

Source : ParisBerlin

Article original : Gueules d’européens : Nina, la pacifiste

 
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