Berlin, nouvelle capitale des intellectuels ?
“Les hommes distingués de l’Allemagne n’étant point rassemblés dans une même ville, ne se voient presque pas et ne communiquent entre eux que par leurs écrits.” En 1813, Germaine de Staël s’étonnait du provincialisme intellectuel propre aux Allemands. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Berlin, jeune capitale politique, tient-elle son rang en matière de production d’idées ? La ville est tout d’abord redevenue un centre d’édition et vole désormais la vedette à Francfort ou Munich. Le déménagement sur les bords de la Spree de la maison Suhrkamp en a été le signe le plus éclatant. L’éditeur d’Adorno, de Brecht ou de Hesse a installé début 2010 ses quartiers à Prenzlauer Berg à l’issue de vives polémiques, mais aussi d’opérations de séduction de la part des autorités locales. “Francfort était un laboratoire dans les années 60, désormais, c’est Berlin”, avait expliqué alors la directrice Ulla Unseld-Berkewicz aux nostalgiques. Depuis, d’autres éditeurs ont suivi. Hanser a ouvert une dépendance berlinoise (Hanser Berlin) en janvier dernier. Des négociations sont en cours au siège du légendaire dictionnaire Duden, à Mannheim.
Plus que de simples restructurations de branche, la tendance souligne une convergence des pouvoirs politique et intellectuel dans la capitale. Depuis quelques années, la culture des salons héritée de la fin du XVIIIe siècle y renaît.
Des filières d’excellence
Les réunions de Britta Gansebohm, les soirées de la villa Lettrétage ou la garden-party annuelle du Literarisches Colloquium, sur les bords du lac de Wannsee, sont prisées des débutants comme des auteurs confirmés.
Si Berlin passe à nouveau pour un chaudron d’idées, c’est aussi grâce à la renommée de ses universités. La Humboldt-Universität a récemment rejoint la Freie Universität dans le cercle des facs dites “d’excellence”: un label et une garantie de financements supplémentaires qui devraient séduire encore plus d’étudiants. En 2011, ils étaient déjà 153000 à se bousculer dans les salles de cours. Les établissements d’enseignement supérieur de la capitale se plaignent régulièrement auprès du Sénat de budgets stagnants mais ils sont néanmoins devenus champions d’Allemagne dans l’acquisition de ressources externes.
Think tanks et fondations
Aux professionnels de la recherche fondamentale s’ajoutent également les chercheurs plus proches des arcanes du pouvoir. Tantôt véritablement indépendants, tantôt flirtant avec le lobbying, une quarantaine de think tanks se partagent le marché de l’expertise. Les grandes fondations proches des partis politiques, comme la Konrad-Adenauer- Stiftung ou la Friedrich-Ebert-Stiftung, ou la SWP, spécialisée dans les relations internationales, comptent parmi les anciennes adresses renommées, tandis que le nombre de conseillers du secteur privé a explosé depuis le déménagement du Bundestag à Berlin en 1999. De quoi faire mentir Madame de Staël? Berlin a certes gagné en influence mais le jacobinisme intellectuel à la française est loin d’avoir atteint l’Allemagne.
“La différence, c’est qu’il n’y a pas de Saint-Germain-des-Prés!” s’exclament en chœur les écrivains Gila Lustiger et Wilfried N’Sondé – l’une Allemande, l’autre Français. Pour se faire entendre et se retrouver entre pairs, par exemple lors de conférences ou lectures publiques, les intellectuels allemands doivent se rendre régulièrement en province. Les milieux politiques n’ont pas réussi, à la manière des élites parisiennes ou d’un Frédéric II à Potsdam, à rassembler autour d’eux le monde de l’esprit, jaloux de son indépendance depuis les expériences totalitaires et la stabilisation de la démocratie. Enfin, Berlin continue de tirer sa notoriété de ses nuits folles, de ses start-up et de sa jeu- nesse branchée. Elle a tout sauf l’image d’une ville cérébrale et studieuse. “Pauvre mais sexy”… et un peu superficielle, disent les mauvaises langues.
TEXTE : CLAIRE-LISE BUIS
Source : ParisBerlin
Article original : Berlin, nouvelle capitale des intellectuels ?